“Mais où est donc Or-ni-car ?” Si vous vous souvenez encore aujourd’hui de la liste des conjonctions de coordination, vous le devez probablement à cette question aussi étrange qu’inoubliable. Les moyens mnémotechniques sont une méthode bien connue pour aider vos apprenants à mieux mobiliser ce qu’ils ont appris, mais il en existe plusieurs autres similaires.
Prenons l’exemple d’un professeur d’informatique qui, pour que ses élèves se souviennent de la notion de booléen (une variable ne pouvant avoir que deux états : vrai ou faux, 0 ou 1…) utilise la métaphore des amants : tous les soirs, l’amant attend sa maîtresse sous son balcon. Si la lumière de sa chambre est éteinte (0), cela signifie qu’ils ne sont pas seuls : ce n’est pas le moment de monter. Si la lumière est allumée (1), en revanche, il sait qu’il peut la rejoindre au balcon sans danger.
Autre exemple, un formateur qui souhaite inculquer à ses stagiaires l’importance de la crédibilité dans les négociations se sert d’une anecdote croustillante : un collègue, en plein milieu d’une réunion, quitte son siège de manière théâtrale, se dirige vers la sortie et… se trouve bloqué par une porte récalcitrante.
Toutes ces techniques ont un point commun : ce sont des raccourcis mentaux. Ces raccourcis nous permettent de retrouver plus facilement la bonne information, ou la bonne réaction, dans notre mémoire lorsque nous en avons besoin. C’est pourquoi ce sont des piliers essentiels de tout apprentissage durable. Qu’ils soient basés sur des jeux de langage (comme le chameau qui a deux syllabes, et donc deux bosses), une proximité de sens, ou encore du contenu émotionnel, les raccourcis mentaux sont des moyens détournés d’accéder à une notion en mémoire en faisant appel à des connaissances proches mais de nature différente.
L’efficacité des raccourcis mentaux dans l’apprentissage n’est pas qu’une intuition. Elle est solidement étayée par la recherche en sciences cognitives : ceux qui les utilisent sont mieux capables de mobiliser ce qu’ils ont appris que les autres.
De nombreuses études scientifiques viennent appuyer ce principe. Voici l’une d’entre elles :
Pour mesurer l’utilité des raccourcis mentaux, des chercheurs ont demandé à 60 participants d’apprendre une liste de mots. Ils ont été séparés en deux groupes : le premier à qui l’on a demandé de construire des phrases avec ces différents mots (par exemple « la vache a écrasé mon pied avant de marcher vers la hutte en forme de chapeau » pour les mots « vache », « pied », « hutte » et « chapeau ») et le deuxième à qui l’on n’a pas donné de consigne particulière.
Dans un test passé peu de temps après, les chercheurs ont remarqué que les participants qui avaient constitué des phrases avec les mots ont été capables de restituer un plus grand nombre de mots que le groupe qui n’a pas eu d’instruction particulière. Ce résultat peut sembler surprenant : construire une phrase et s’en rappeler exige du participant qu’il se rappelle non seulement des mots de la liste, mais aussi des mots des liaisons. Comment expliquer leurs performances supérieures ?
Les raccourcis mentaux favorisent la consolidation de l’information : qu’est-ce qui explique cet effet ? Il semblerait que relier des mots à retenir dans une phrase rajoute un indice supplémentaire pour vous aider à vous les remémorer. Au lieu de mémoriser des mots sans rapport les uns avec les autres, vous pouvez commencer par retrouver le sens général de la phrase, puis partir de celle-ci pour retrouver les mots qui la composent.
Ce que la recherche appelle “enchaînement” (chaining) des mots les rend donc plus mémorables que s’ils étaient seuls : pour notre cerveau, il est plus simple de se rappeler d’une chaîne que de tous ses maillons pris isolément, notamment parce que chaque maillon est lié au suivant, qui lui même est lié au suivant, et ainsi de suite. Ce qui vaut pour une phrase vaut pour d’autres types de raccourcis mentaux, comme la métaphore ou encore l’illustration. Ainsi, lorsque vous illustrez votre propos par un schéma, le schéma et la notion qu’il représente sont enchaînés l’un avec l’autre.
L’effet d’enchaînement est notamment ce qui explique l’intérêt pédagogique de la narration. Il est facile de se retrouver dans une histoire car chaque évènement fait partie d’une chaîne de cause à effet : Delphine a volé la bicyclette d’Elsa -> Elsa appelle la police -> Delphine se fait arrêter par la police, etc . Notre cerveau recherche spontanément cette structure où tout est à sa place et chacun à un rôle à jouer. On comprend mieux comment certains d’entre nous qui peinent à retrouver leur code de carte bancaire peuvent en même temps avoir développé une mémoire quasi encyclopédique des séries télévisées (parfois jusqu’à mieux connaître l’arbre généalogique de la famille Lannister dans la série Game of Thrones que celui de leur propre famille).
L’effet d’enchaînement est aussi ce qui sous-tend la technique dite du palais mental, dans laquelle chaque élément dont vous souhaitez vous souvenir est rangé dans un endroit familier (tel que votre domicile). Vous pouvez ensuite les retrouver en suivant un parcours imaginaire, comme si vous visitiez les pièces de votre maison les unes après les autres. Par exemple, vous voulez vous rappeler de la procédure de sécurité en cas d’incident d’informatique . La première étape de la procédure est d’“identifier” l’incident : la première étape de votre parcours pourra donc consister à récupérer la carte d’“identité” qui se situe près de l’entrée, dans la poche de votre veste accrochée au porte-manteau. En retraçant un parcours logique pour vous, vous parviendrez mieux à retrouver l’ensemble des étapes de mémoire.
Une autre forme d’enchaînement consiste à rattacher les notions à une émotion, qu’elle soit directement vécue ou transmise par le biais d’une anecdote, par exemple. En effet, une information qui déclenche une émotion aura tendance à être mieux rappelée qu’une autre. L’émotion peut être négative comme la tristesse, mais elle peut également venir de l’humour ou tout simplement de la surprise. L’émotion provoquée par l’anecdote vous guidera naturellement jusqu’à la notion dont il faut se rappeler : si, dans une formation sur le leadership, l’illustration d’une mauvaise pratique leur rappelle une situation vécue qui les avait mis en colère, ils auront davantage de chance de s’en souvenir.
Attention toutefois à ne pas en faire trop. Face à une émotion trop intense, vos apprenants ne se souviendront que de l’émotion et occulteront tout le reste de ce qu’ils ont appris à ce moment là. On sait grâce à la recherche que des émotions extrêmes peuvent même contribuer à la création de faux souvenirs, comme cela arrive parfois suite à des épisodes traumatisants comme un accident. En formation, une émotion excessive pourrait ainsi provenir d’une activité tellement difficile qu’elle en devient stressante, ou un feedback tellement négatif qu’il crée une profonde blessure de l’égo.
Par ailleurs, il est essentiel de veiller à ce que l’émotion provoquée soit directement en rapport avec la notion que vous voulez transmettre et qu’elle ne représente pas une simple distraction de l’attention. Ainsi, il est fréquent que les vidéos pédagogiques sur YouTube multiplient tant de gags visuels et de références culturelles de pur habillage que les messages clés en ressortent davantage brouillés que clarifiés.
Concluons notre explication par une brève mise en abîme, et essayons d’illustrer l’efficacité de raccourcis mentaux comme la métaphore par… une métaphore.
Si notre mémoire est une forêt, et les traces mentales de nos apprentissages sont les sentiers qui la traversent, le raccourci mental est, comme son nom l’indique, un raccourci : un chemin qui, s’il ressemble de prime abord à un détour (puisqu’il passe par une étape intermédiaire, par exemple le souvenir d’une émotion, pour arriver à destination), est en réalité à la fois plus rapide et plus facile à emprunter que les autres. En vous créant un raccourci mental, vous balisez donc un sentier pratique pour retrouver le fruit de votre apprentissage dans la forêt de votre mémoire à chaque fois que vous en aurez besoin à l’avenir.
[1] McNamara, D. S., & Scott, J. L. (2001). Working memory capacity and strategy use. Memory & cognition, 29(1), 10-17.
[2] Mather, M.; Sutherland, M. R. (2011). Arousal-biased competition in perception and memory. Perspectives on Psychological Science. 6 (2): 114–133. PMC 3110019 Freely accessible. PMID 21660127.
[3] Howe., M.L.; Knott, L.M. (2015). The fallibility of memory in judicial processes: lessons from the past and their modern consequences. Memory. 2015;23(5):633-56.
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