Pour beaucoup, la finalité de l'école est la transmission des savoirs, depuis le professeur vers l'élève, dans le but de garantir à tous un niveau minimum de repères intellectuels et culturels. Pour d'autres, dans un monde où la plupart des savoirs sont en open source, le rôle de l'école est d'accompagner chaque jeune dans le développement des compétences nécessaires à la vie professionnelle et sociale.
Si je vous dis savoir, vous imaginez un théorème mathématique, un roman de Zola, ou un concept philosophique. Si je vous dis compétence, vous visualisez une aptitude concrète (dessiner un mouton, faire un bilan comptable) ou -pour les plus imaginatifs- une qualité professionnelle (capacité à prendre des décisions, proactivité, innovation...).
Cette distinction laisse penser que les choses que nous apprenons peuvent être classées en deux groupes bien distincts : celui de la connaissance pure, par nature théorique, et celui de l'action, destiné à la "vraie vie". Prétendument désintéressé et noble, le premier viserait à comprendre le monde qui nous entoure - sans prétendre le changer - tandis que le second permettrait d'agir dans et sur le monde - sans nécessairement l'avoir compris -.
Le problème, c'est que depuis de nombreuses années, la distinction entre savoirs et compétences a laissé place à une franche opposition, à laquelle le débat autour de l'éducation se trouve trop souvent résumé. Il serait grand temps d'en sortir, et ce pour au moins trois bonnes raisons.
Si l’on s'affranchit un instant des distinctions de tribu pour s’attacher à ce qui se passe réellement, on se rend compte que la distinction entre un savoir et une compétence n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît.
Tout d'abord parce que la compétence procède du savoir. Les chercheurs en sciences cognitives définissent en effet la compétence comme "la mobilisation appropriée et en situation d'un savoir". Autrement dit, la compétence n'est rien d'autre que le processus par lequel le cerveau récupère et met en application un ensemble de savoirs pour répondre à une problématique donnée.
Prenons l'exemple du bilan comptable. Quand Fred de la compta écrit son bilan à la fin de l'année, il mobilise plusieurs savoirs théoriques liés à son métier : ce qu'il sait de la situation de l'entreprise, sa connaissance des lignes qui constituent le bilan, la liste de documents dont il a besoin pour le construire, les fonctionnalités de son logiciel comptable, les chiffres de l'année précédente, etc. Il s'appuie également sur des savoirs plus génériques tels que la maîtrise de la lecture ou des quatre opérations fondamentales. Son aptitude pratique à produire un bilan comptable n'est donc que l'expression d'une somme de connaissances gardées en mémoire.
Et la réciproque est vraie : tout savoir a une conséquence pratique. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre un cas limite. Considérons un savoir pur, éthéré, semblant échapper à toute application pratique : un cours d'histoire de l'art sur le style gothique. L'art gothique peut être un art mort, l'étudiant un piètre artiste ; il n'en demeure pas moins que toute sa vie, lorsqu'il visitera un monument ou qu'il contemplera une œuvre, il aura la capacité de distinguer le style gothique de tout autre style artistique. De la même façon que connaître les règles de la soustraction engendre la capacité à rendre la monnaie, l'apprentissage des grandes caractéristiques de l'art gothique aura généré en lui, de manière automatique, le développement d'une compétence mobilisable dans le monde réel.
Vous avez compris que loin de s’opposer, le savoir et la compétence sont les deux faces d'une même pièce. On ne peut prétendre transmettre des compétences sans s'appuyer sur des savoirs, et on ne peut développer des savoirs sans produire des compétences. L'idée de (re)centrer les apprentissages autour des uns ou des autres semble par là même assez impraticable. En outre, envisager la théorie et la pratique de manière séparée est totalement contre-productif sur le plan pédagogique.
Ce qu'on observe en effet au moment de l'apprentissage, c'est que non seulement les savoirs et les compétences sont intrinsèquement liés, mais qu'en plus ils se nourrissent l'un l'autre.
Prenons un exemple. Quand Enzo de la créa dessine un mouton, il mobilise la représentation mentale qu'il se fait d'un mouton, il met en application certaines règles de proportion, et connait l'épaisseur du trait qu'il tracera en appuyant plus ou moins fort sur son crayon. Cette juxtaposition de savoirs, qu'Enzo a initialement acquis en cours de dessin, se voit ainsi éprouvée et révélée au moment où le mouton prend forme sur la feuille de papier. Mais si les moutons d'Enzo sont de plus en plus réalistes, c'est parce qu'Enzo s'améliore en pratiquant, et que l'image du mouton se précise dans son esprit, tout comme son sens des proportions, ou son anticipation de l'épaisseur du trait sur le papier. Vous me voyez venir ?
Mouton après mouton, Enzo consolide ses savoirs, en même temps qu'il affirme sa compétence de dessinateur de mouton. L'exercice d'une compétence par la mise en action renforce donc les savoirs. C'est pourquoi nous comprenons et retenons mieux les choses que nous avons éprouvées. C'est aussi la raison pour laquelle les pédagogies dites "actives" permettent d'obtenir de meilleurs résultats d'apprentissage sur le long terme.
Si l'on se place du point de vue de cerveau qui apprend, savoirs et compétences ne gagnent pas à être considérés séparément. Il est important de les considérer ensemble et en interaction pour créer des parcours éducatifs véritablement efficaces.
Nous sommes donc d'accord sur le fait que la distinction entre savoirs et compétences n'a de réalité ni dans nos cerveaux, ni dans la salle de classe. Pourtant, cette question occupe toujours une place centrale dans le débat public. Et ça n'a rien de nouveau ! La discorde savoir vs. compétences n'est qu'une variante du sempiternel débat instruction vs éducation, qui opposait déjà Condorcet et Rabaut Saint Etienne au moment de la Convention de 1793. Puis on a eu les Républicains contre les pédagogues, Alain contre Freinet, et aujourd'hui les défenseurs des "savoirs fondamentaux" contre les promoteurs des compétences du XXIème siècle.
Peut être persiste-t-elle parce qu'elle est un prétexte commode pour éviter d'autres sujets plus délicats, comme le rôle du professeur, la finalité de l'éducation ou la standardisation de l'école. Ou bien parce qu'elle permet d'expliquer le succès ou les difficultés de tel ou tel modèle sans trop d'effort : "si l'école échoue, c'est parce qu'on y apprend plus rien" - pour la version pro-savoirs ; "si l'école échoue, c'est parce que ce qu'on y apprend est inutile" -pour la version pro-compétences. Et si la vraie réponse était plutôt "parce qu'elle ne se base pas suffisamment sur notre manière d'apprendre" ?
Ce débat substitue donc un faux problème (que doit-on apprendre ?) à une vraie question (comment apprendre véritablement et durablement ?) et nous empêche ainsi de nous focaliser sur ce qui compte : les bonnes pratiques d’apprentissage. Qu'il s'agisse de savoirs ou de compétences, le vrai enjeu est de s'assurer que les jeunes et les moins jeunes apprennent et évoluent vraiment. Développer en eux une envie d'apprendre et de bons réflexes d'apprentissage est indispensable pour qu'ils puissent répondre aux défis d'une société en constante évolution.
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