Vos apprenants plébiscitent leur formation en ligne sur l'éthique et la prévention des conflits d'intérêts, à un détail près : les cas pratiques leur paraissent trop pointus, si bien que seulement 30% d'entre eux trouvent les bonnes réponses du premier coup. Pour la réédition prévue l'année prochaine, on vous propose d'imaginer un parcours plus ludique, avec des questions simples qui mettent l'apprenant en confiance. Objectif : que 75 % maîtrisent le module dès la première tentative. Est-ce la meilleure démarche ? Non, nous disent les résultats des sciences cognitives, du moins si vous souhaitez que vos apprenants soient réellement capables de détecter des situations de conflit d'intérêt à l'issue de la formation.
On sait grâce à la recherche que retrouver de mémoire ce qui a été transmis permet de mieux ancrer les apprentissages : c'est d'autant plus le cas lorsque vous mettez vos apprenants en difficulté. Le besoin de calibrer un niveau de difficulté adéquat pour vos apprenants est en effet l'un des piliers de l'apprentissage les plus solidement établis dans la littérature. Lorsque vous choisissez un niveau de difficulté adapté, l’apprenant va devoir produire un effort, et c’est précisément cet effort qui permettra de renforcer la trace de ce qu'il a appris dans sa mémoire. C'est notamment pour cela qu’il vaut mieux répondre à des QCM que lire plusieurs fois son cours. Sans effort, pas de consolidation.
On l’a compris, la difficulté et l’effort qu’elle nécessite de la part de l’apprenant est essentielle pour l’apprentissage. Reste à trouver le niveau adéquat de difficulté : comment procéder ? Trop faible, l’apprenant ne produit aucun effort et n’apprend rien ; trop élevé, l’apprenant se retrouve en situation de surcharge mentale et finit par se décourager.
Plusieurs études suggèrent que le niveau optimal de difficulté est un niveau légèrement supérieur à celui que le sujet est capable de traiter sans assistance extérieure. Il faut proposer à l'apprenant le petit pas en plus par rapport à l'endroit où il se trouve actuellement. Concrètement, la prochaine étape pour un acteur qui sait réciter son texte sans erreur peut être de réciter le même texte avec de l'émotion dans la voix ; pour un commercial qui sait vendre son produit à un client réceptif, cela peut être de présenter le même produit à un client récalcitrant.
On dit de ces types de challenges qu'ils se situent dans la Zone Proximale de Développement : l'apprentissage est le plus bénéfique pour l'apprenant lorsque les activités proposées dans votre cours ou votre formation se trouvent dans cette zone.
Pour atteindre à coup sûr la Zone Proximale de Développement, il faut être capable de contrôler le niveau de difficulté sur commande, ce qui implique de comprendre d'où viennent les difficultés dans l'apprentissage. Le principal facteur de difficulté est l’écart entre l’état actuel de maîtrise de l’apprenant et la tâche à accomplir : ainsi, si vous disposez de données fines sur le niveau initial de votre apprenant (notamment grâce au feedback), vous pourrez ajuster la tâche de manière à moduler le niveau de challenge de votre formation, par exemple en enlevant l'accès à certains indices, en intégrant des notions vues précédemment ou encore en ajoutant un temps de réponse limité à vos questions.
Une des manières les plus efficaces de moduler les difficultés est d'alterner les notions à apprendre : pour prendre le cas du tennis, mieux vaut apprendre en alternant régulièrement coup droit et revers (apprentissage entremêlé) qu'en s'entraînant par série de cent coups droits, puis cent revers (apprentissage par bloc). De la même manière, si l'on veut être capable à reconnaître un tableau de Van Gogh d'un tableau de Cézanne, mieux vaut alterner de temps à autre entre les œuvres de chaque peintre.
Alterner les apprentissages force l'apprenant à se rappeler des notions qu'il a vues auparavant ("à quoi ressemblait le Van Gogh ?"). Par ailleurs, entre temps, il aura dû travailler une autre notion, ce qui crée des "interférences contextuelles" avec ce qu'il essaie de garder en mémoire ("est-ce que je ne suis pas en train de confondre avec Manet ?"). Dépasser ces interférences demande à l'apprenant un effort plus grand, une difficulté désirable qui renforce l'ancrage durable des apprentissages en mémoire.
Pourquoi apprend-t-on mieux en alternant alors même qu'on fait plus d'erreurs au départ ? En réalité, l’effort qu’a dû déployer l'apprenant pour surmonter les interférences provoquées par l'alternance lui a permis de désencombrer le chemin d’accès aux notions contenues dans sa mémoire.
Imaginons que notre mémoire soit comme une forêt traversée par de nombreux sentiers. Ces chemins sont les traces mentales de nos apprentissages que la végétation - l’oubli - vient recouvrir au fur et à mesure.
Admettons que l'on marche uniquement et pendant de longues périodes sur le sentier qui correspond à une seule notion : entre temps, les sentiers qui correspondent aux autres notions similaires auront été entièrement recouverts de végétation, et nos traces mentales pour y accéder seront moins robustes. A l'inverse, dans un apprentissage alterné, on marche régulièrement sur chaque chemin , ce qui enlève la végétation dès son apparition.
(1) W.F. Battig. Facilitation and Interference. In: Bilodeau, E.A. (Ed.), Acquisition of Skill, Academic Press, New York (1966), pp. 215-244
(2) Taylor, K., & Rohrer, D. (2010). The effects of interleaved practice. Applied Cognitive Psychology, 24(6), 837-848.
(3) Guadagnoli, M. A., & Lee, T. D. (2004). Challenge point: a framework for conceptualizing the effects of various practice conditions in motor learning. Journal of motor behavior, 36(2), 212-224.
(4) Vygotsky, L. S. (1980). Mind in society: The development of higher psychological processes. Harvard university press.
(5) Baranes, A. F., Oudeyer, P. Y., & Gottlieb, J. (2014). The effects of task difficulty, novelty and the size of the search space on intrinsically motivated exploration. Frontiers in neuroscience, 8, 317.
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